J'ai été guidé vers mon premier véritable disque de blues par Keith Richard de The Rolling Stones ; c'est dans une revue de rock que je lis quelques courtes phrases lapidaires dans lesquelles il livre sa profonde tristesse à l'annonce de la mort du bluesman Hound Dog Taylor. Il avoue que le son crade de guitare du bougre l'aurait vraiment influencé. Keith Richard ayant toujours été ma figure préférée de The Rolling Stones, je note soigneusement le nom de Hound Dog Taylor dans un coin de ma caboche.
Peu de temps après, chez un disquaire de Dunkerque, je tombe sur un disque 33 tours de Hound Dog Taylor - Beware of the Dog ! - . D'entrée je suis subjugué par la pochette : une photo du vieux bluesman tout décharné ; illico j'achète le disque.
Je n'y connaissais alors absolument rien au blues, à vingt ans, je n'écoutais essentiellement plus que du rock et pensait que le blues était un genre dépassé, voir ringard. Quand j'ai eu déposé ce disque mon vieil électrophone (je n'avais pas de chaine hi-fi à l'époque), dés l'intro du premier titre l'entêtant, avec son riff mordant Give Me Back My Wig, c'est un choc !
Bientôt des coulées de bottleneck pareilles à de la lave en fusion puis la voix criarde, éraillée de Hound Dog Taylor pour une sensation, émotion, tout comme aux premières fois ou quelques années plus tôt quand j'ai entendu pour la première fois My Generation/The Who mais aussi le premier album de The Velvet Underground.
D'emblée j'ai adoré ce disque enregistré en trio et durant des concerts de 1974. Sur cette galette, Hound Dog Taylor - chant, guitare & bottleneck furieux - est juste accompagné de 2 complices : Brewer Philips - Guitare rythmique -, Ted Harvey - batterie - et un point c'est tout ! Pas besoin de bassiste pour déménager ce déménagement sonique de tous les diables. Une énergie brute d'extraction de la tripe pour l'un des enregistrements les plus pures, sauvage, émouvant qu'il m'a été offert d'entendre jusqu'à ce jour.
Ironiquement, ce premier témoignage en public est publié en 1976, alors qu'Hound Dog Taylor n'est plus depuis le 17 décembre 1976, date à laquelle, à Chicago, il est décédé dans un miteux hôpital d'un cancer - il est dit aussi qu'il était tubar et ce que les photos de pochettes de ses albums sur Alligator Records semblent vouloir démontrer-. Néanmoins ce disque ne pue pas la mort, pourtant elle est bien présente et le Hound Dog devait bien le savoir qu'il n'en avait plus pour très longtemps mais rien même sur le gril ne l'empêche de monter toujours plus haut, de se montrer toujours plus drôle, goguenard entre ou pendant les morceaux. 9 titres tous différents, une sorte de testament qui emprunte toutes les voies/voix d'un genre le blues électrique, le son urbain de cette malsaine ville de Chicago qui n'a que très, mais très rarement et si bien jamais plus était célébré de la sorte. J'en ai les larmes qui me remontent de la gorge et jusque dans les yeux quand j'écoute aujourd'hui Kitchen Sink Boogie - Le boogie le l'évier de cuisine, peut-être bien mon titre préféré de ce foutu grand disque de blues.
Sur cet enregistrement, côte à côte se retrouve le pur blues narratif : The Sun is Shinning,
Le rhythm'n Blues frénétique: Let's Get Funky,
du rock'n roll exemplaire et foutrement crade : Rock Me,
du country-blues survolté : Comin' Around The Moutain,
Un convulsif instrumental : Dust my Broom,
Méchamment dansant c'est : It's Allright avec des coulées furieuses sur toile de riffs tranchants,
Enfin le dernier titre de ce Beware Of The Dog, un nonchalant Freddie Blues, Hound Dog Taylor a auparavant demandé à son public durant tout le concert : Vous allez bien ? Vous en êtes sûr ? Vraiment bien certains ? Puis juste avant d'attaquer en final Freddies Blues il hurle JE L'AI ! alors de la salle monte une voix qui interroge : Quoi ? Qu'est-ce que tu as ? Hound Dog Alors répond : J'AI LE BLUES ! Et il l'a ! Le bougre sait de quoi il parle et il se lance pour conclure triste et profond avec le seul titre lent pour un blues un blues à vous coller le cafard pour le restant de l'hiver et même jusque qu'aux cœurs des plus beaux jours de printemps et d'été réunis qu'il vous reste à vivre. Le batteur fini même par sembler comme à renoncer à faire cogner ses baguettes sur la peau des tambours ponctuant à peine le lamento de ce Blues puis le Houng Taylor lâche comme un chien : Ma Mamam m'avait prévenu. Ce qui fait malgré tout se plier de rire le public mais d'un rire non pas jaune mais bleu; ce rire bleu qui depuis ne m'a jamais plus quitter.
Christian-Edziré Déquesnes
Extrait de Plats du jour, 2017 - Editions du Petit Curé de Francis Carpentier et Christian-Edziré Déquesnes.
Quelques exemplaires demeurent disponibles
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